Weil Simone – Écrits politiques et historiques (Histoire) : De Simone Weil (1909-1943), on connaît surtout les écrits sur le mysticisme chrétien, sur la spiritualité hindoue et cathare, sur Platon, la Grèce antique, Descartes… Ce que l’on sait moins, c’est que l’auteure de La Pesanteur et la Grâce fut une militante de gauche personnellement engagée dans les grands mouvements politiques de son temps. Simone Weil appartient en effet à cette génération d’intellectuels qui furent marqués successivement par la Révolution bolchévique, le krach de Wall Street, la Grande Dépression, la Guerre d’Espagne et la Seconde Guerre mondiale. La très grande majorité des textes réunis ici furent publiés dans de petites revues de gauche entre 1932 et 1943. Ils reflètent l’urgence du moment présent, l’inquiétude de la jeune philosophe face à un monde où les promesses des lendemains qui chantent sont réduites en cendre par la spéculation galopante, la débâcle financière, économique et sociale et la montée inexorable du nazisme.
Le premier essai, paru en janvier 1940, se fait l’écho de ce désarroi. Dans ce réquisitoire brillant mais riche en vertigineux raccourcis, Simone Weil soutient que les racines de l’État totalitaire hitlérien, ce n’est pas « l’Allemagne éternelle », comme on disait alors, mais Rome, à la grandeur de laquelle elle ne fait aucune concession. Deux autres essais sur l’écrasement de l’Occitanie au tournant des XIIe-XIIIe siècles, publiés tous deux en 1943, prolongent cette réflexion sur le caractère universel et permanent de la barbarie humaine. Autant Simone Weil se montrait impitoyable envers la Rome antique, autant elle fait preuve ici d’indulgence vis-à-vis d’un pays d’oc qu’elle idéalise et dont l’éradication, examinée au miroir du présent, revêt sous sa plume une valeur de récit prémonitoire — celui d’une France martyrisée mais non vaincue, une France dont les aspirations, héritées de la civilisation occitane, peuvent et doivent être défendues envers et contre tout.
L’ouvrage comprend également un certain nombre d’articles sur la condition ouvrière, l’une des grandes préoccupations de la pensée historique et politique de Simone Weil. L’un d’eux, publié en 1934, est consacré au soulèvement des Ciompi dans la Florence du XIVe siècle, « l’aînée des insurrections prolétariennes ». Les autres, parus dans La Révolution prolétarienne entre août 1932 et avril 1933, sont une série de témoignages personnels sur la situation en Allemagne. Simone Weil y décrit les souffrances du peuple allemand face à la dépression économique, les conditions de vie désespérées des jeunes, des chômeurs, les grèves d’ouvriers à Berlin et ailleurs. Elle dénonce aussi l’échec du parti communiste allemand à s’organiser contre la démagogie hitlérienne et accuse surtout l’URSS de n’être plus la patrie internationale des travailleurs, mais une « dictature bureaucratique qui pèse sur la classe ouvrière russe [et] étouffe aussi la révolution allemande. »
Cette lucidité à contre-courant de la pensée marxiste dominante se manifeste également dans quatre textes très disparates sur la guerre civile espagnole qui concluent ce volume. Relatant sa brève expérience dans les milices de la centrale syndicale anarchiste en 1936, elle raconte son horreur face aux atrocités commises dans les deux camps et dénonce notamment ces Français qu’elle croyait connaître, des « camarades » pacifistes comme elle, et qui pourtant « baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. »
Née en 1909 dans une famille juive non pratiquante d’origine alsacienne, Simone Weil manifeste très tôt son activisme : à dix ans, elle se déclare bolchévique ; au lycée Henri IV puis à l’École Normale Supérieure, elle se rapproche du marxisme révolutionnaire et des mouvements syndicalistes et pacifistes. Nommée professeure de philosophie au lycée du Puy en 1931, elle est frappée par la misère des ouvriers et milite à gauche dans le syndicalisme et les causes révolutionnaires. En juillet 1932, elle séjourne quelques semaines en Allemagne pour se rendre compte par elle-même de la progression inquiétante du nazisme. En 1934, elle demande un congé sabbatique et, malgré une santé très fragile, se fait engager comme manœuvre dans plusieurs usines afin de partager les conditions de vie des travailleurs et repenser de l’intérieur la condition ouvrière. En 1936, par solidarité avec le peuple espagnol luttant contre le fascisme, elle s’enrôle brièvement dans la colonne Durruti. En mai 1942, elle s’embarque avec ses parents pour New York mais en repart dès novembre pour s’engager à Londres comme rédactrice auprès de la Résistance gaullienne. Atteinte de tuberculose, elle est hospitalisée en avril 1943 et meurt le 24 août, à l’âge de trente-quatre ans, laissant derrière elle une œuvre majeure qui lui vaudra la reconnaissance posthume que l’on sait.
[Sources : E. Piccard, Simone Weil (PUF 1960) ; Simone Weil. Formative Writings 1929-1941. Edited and translated by Dorothy Tuck Mc Farland and Whilelmina Van Ness (The University of Massachusetts Press, Amherst 1987) ; Simone Weil, Oeuvres completes II. Écrits historiques et politiques (Gallimard 1991).]
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