Giacomo G. Casanova – Mémoires de J. Casanova de Seingalt écrits par lui-même (tome 1 livre 1)

Le lecteur qui aime à penser verra dans ces mémoires que n’ayant jamais visé à un point fixe, le seul système que j’eus, si c’en est un, fut celui de me laisser aller où le vent qui soufflait me poussait. Que de vicissitudes dans cette indépendance de méthodes! Mes infortunes également que mes bonheurs m’ont démontré que dans ce monde tant physique que moral le bien sort du mal, comme du bien le mal. Mes égarements montreront aux penseurs les chemins contraires, ou leur apprendront le grand art de se tenir à cheval du fosset. Il ne s’agit que d’avoir du courage, car la force sans la confiance ne sert à rien. J’ai vu très souvent le bonheur tomber sur moi en conséquence d’une démarche imprudente, qui aurait dû me mener au précipice ; et, quoiqu’en me blâmant, j’ai remercié Dieu. J’ai aussi vu, tout au contraire, un malheur accablant sorti d’une conduite mesurée par la sagesse : cela m’a humilié ; mais sûr d’avoir eu raison, je m’en suis facilement consolé.

Malgré le fond de l’excellente morale, fruit nécessaire des divins principes enracinés dans mon cœur, je fus toute ma vie la victime de mes sens ; je me suis plu à m’égarer, et j’ai continuellement vécu dans l’erreur, n’ayant autre consolation que celle de savoir que j’y étais. Par cette raison j’espère, cher lecteur, que bien loin de trouver dans mon histoire le caractère de l’impudente jactance, vous y trouverez celui qui convient à une confession générale, quoique dans le style de mes narrations vous ne me trouverez ni l’air d’un pénitent, ni la contrainte de quelqu’un qui rougit rendant compte de ses fredaines. Ce sont des folies de jeunesse. Vous verrez que j’en ris, et si vous êtes bon, vous en rirez avec moi.

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